Apocalypse ➸ Fêtes foraine.

La nuit tombe peu à peu sur la fête foraine. Je soupire en mettant quelques conserves dans mon sac à dos. Il m’en reste assez peu, mais ça sera suffisant pour le début du voyage. De toute façon, même si j’avais plus, il serait suicidaire d’en prendre trop. Ca va me prendre des mois pour arriver jusqu’à Détroit, il faut que je sois léger. Je vérifie rapidement les chargeurs de mon flingue. Deux. Je ne pense pas que ce soit assez, mais contrairement à la bouffe, ça se trouve bien plus difficilement. Va falloir faire avec. Bon… Il est temps. Le ciel s’obscurcit, c’est le meilleur moment pour filer. Cette décision de voyager sous la lune, c’est pas anodin. Les morts, c’est pas un problème. C’est surtout pour éviter les vivants que j’ai choisi d’agir comme ça. Rien n’est plus dangereux qu’un groupe de connards avec le coeur qui bat encore. Ils se permettent tout et ils ont plus rien à perdre. Cela dit… Moi non plus. Je me redresse, avant de glisser la bretelle du sac autour de mon épaule. J’ai rien oublié. Faut dire que j’ai pas grand chose. Deux trois fringues pas fraîches, un peu de bouffe, trois clopes, un briquet, une photo, les deux chargeurs, une petite corde, des lunettes de soleil et deux gourdes d’eau. Le flingue à la ceinture et un couteau de chasse dans la chaussure. Juste ce qu’il faut. Le reste, je le trouverais sur la route.

Il ne me faut qu’un instant pour sortir de la roulotte du forain que j’ai emprunté tout ce temps. C’était le bon plan. Autant la zone était très dangereuse au lendemain du pic de l’épidémie, à cause des sons des attractions, des lumières et de toutes ses conneries, autant dès que l’électricité s’est coupée, c’est probablement devenu un des endroits les plus calmes et sécurisés. C’est bien pour ça que je me suis arrangé une planque dans le coin. Quand je reviendrais à New York, si je crève pas avant, ce sera mon point de chute. Et si des gens s’y installent… Bah désolé pour eux. J’en ai plus qu’assez de jouer le tendre. L’humanité est morte en même temps que la société. Maintenant, c’est tuer ou être tué et ça me convient bien. C’est ce dans quoi j’excelle. Et même si je ne l’avouerai jamais à voix haute… J’adore ça.

Je zigzague entre les stands silencieusement, doucement. Je sais qu’il n’y a pas tant de zombies que ça - je fais régulièrement le ménage - mais baisser sa garde, c’est le meilleur moyen de crever. Il faut toujours jeter un oeil. Quoiqu’il arrive. D’ailleurs, je finis après de longues minutes par entendre des sons un peu plus loin. C’est difficile à dire, parce que la végétation a un peu repris le dessus et c’est peut-être le vent, mais… J’ai un mauvais pressentiment. Je m’accroupis légèrement en continuant d’avancer, en espérant ne pas tomber sur une mauvaise rencontre. Tout à coup, un mouvement à droite me fait me baisser plus encore et aller me cacher derrière une roulotte éventrée. Un zombie. Ouf. Si ce n’est que ça, j’ai pas grand chose à craindre. Quittant des yeux la créature une seconde, j’observe ma cheville et tend la main avec l’idée de récupérer mon couteau, mais un sifflement m’interrompt en pleine action. Je relève la tête juste à temps pour voir le cadavre s’écraser au sol, une flèche plantée dans la tête. Merde. Merde, merde, merde… C’était un beau tir. Avec le peu de luminosité, atteindre la tête comme ça, c’est impressionnant. Enfin… Oui et non, en vérité. Après un an d’apocalypse, tout être vivant encore en forme a développé des talents de survie, donc c’est pas si incroyable. Mais ça m’emmerde drôlement. Faut que je prenne l’initiative avant que le mec me repère. Je vois à peu près d’où est venu le tir, et je connais le terrain. C’est un avantage par rapport à lui. Inspirant longuement, je sors de ma cachette en plissant les yeux, me dirigeant en direction de l’endroit d’où vient le tir, bien qu’un peu en désaxé pour pouvoir arriver par son flanc.

Je bouge au ralenti. Qu’il m’entende serait le pire qui pourrait m’arriver. D’autant plus que je ne sais pas encore s’il est seul ou non. Le duel, je le gère facilement. Si c’est un groupe, je suis probablement mort. Mais même si c’est le cas, je compte bien en emporter un maximum avec moi. Je finis par entendre des voix qui chuchotent. J’ai encore du mal à déterminer leur origine, mais j’ai une vague idée qui me suffit pour me diriger. Par contre, je sais que ce n’est pas qu’une seule personne. Merde. Enfin, je ne les vois pas encore, donc ils ne doivent pas être capable de me repérer non plus. Surtout que je m’efforce vraiment de ne faire aucun bruit. Ou alors, assez peu pour qu’ils croient que c’est ambiant.

Il me faut une bonne minute de plus, à l’allure ralentie où je progresse, pour les avoir en visuel. Et mon coeur se calme un peu. Seulement deux. Un homme et une femme. C’est elle qui a tiré. L’obscurité se fait un peu plus présente, mais on a encore un peu de temps avant la nuit noire. Il va falloir la jouer correctement, et j’ai déjà mon idée. Effet de surprise et menace, c’est le meilleur moyen de gérer la situation. J’attends qu’ils se rapprochent à quelques mètres, qu’ils soient assez proches l’un de l’autre. La patience, il n’y a que ça de vrai dans ce genre de cas. Se précipiter, ça équivaut à un suicide. Et lorsque j’estime que tout est bon, je serre la crosse de mon flingue et je sors des feuillages, à découvert.

- Qu’est-ce que vous foutez là ?

Ma voix est menaçante. L’homme, une vraie montagne, se retourne en même temps que la donzelle mais avant qu’ils ne puissent faire un autre mouvement, je les mets en joue en avançant de quelques pas. Quatre ou cinq mètres nous séparent. Je m’adresse au grand gaillard.

- Bouge pas, connard ! Ils semblent surpris et je les vois remuer à peine. Bouge pas, j’ai dit ! Mes mains sont assurées autour de mon arme et mes yeux passent de l’un à l’autre, aussi rapidement que mon canon qui fait la même chose avant de s’arrêter sur la femme. Toi non plus !

Ma respiration est calme même si ma voix aboie les ordres d’un ton rauque et dangereux. Presque prédateur.

- Mec… Je le regarde avec un sourire assuré, mauvais. Presque narquois. Tu vas fermer ta gueule et m’écouter. Si tu remues ne serait-ce qu’un muscle… Ou si je me sens menacé, ne serait-ce qu’à peine… Ta rousse n’a plus de tête. Je lui colle une balle entre les deux yeux et sa cervelle repeindra le sol. Pigé ?

Je ne sais pas si la menace fonctionnera, mais j’ai l’impression que si. Je ne sais pas quelle est leur relation, mais s’ils sont ensembles et qu’ils voyagent ensembles, c’est qu’ils ont un minimum d’attache l’un à l’autre. Je reprends sans lui laisser le temps de répondre. Mon flingue est toujours pointé sur le crâne de la donzelle.

- Vous allez poser vos armes au sol et me les envoyer d’un coup de pied. Et pas dans cinq minutes. Je pense que tu sauras prendre la bonne décision. Je lui souris à nouveau. Je sais que tu vas te dire que vous êtes deux, que vous pouvez m’avoir. Et c’est vrai. Je hoche la tête. Si je tire, tu me tues et je crève. Sauf que moi, j’en ai rien à foutre si je peux emporter la demoiselle avec moi. Et je pense que tu tiens moins à me tuer qu'à la voir survivre, hein ?

Mon doigt est sur la gâchette de mon flingue. Une seule pression, même minime, et ma balle va traverser son front et faire visiter le monde extérieur à son cerveau rosé. J’inspire longuement.

- Allez, vos armes. T’as dix secondes. Après ça, on discute.